Discours de M. Viktor Orbán, premier ministre, devant la Chambre de Commerce et d’Industrie de Hongrie à l’occasion de l’ouverture de l’année économique
Budapest, 10 mars 2020

Bonjour à tous !

Je voudrais remercier Monsieur le Président de m’avoir invité cette année encore. C’est à la fois un avantage et un inconvénient de parler en dernier. L’inconvénient, c’est qu’il n’y a plus grand-chose à dire après tous les autres, mais l’avantage est la possibilité de justifier mes propos non pas par moi-même, mais sur la base de ce qui a été dit avant moi. C’est tout de même plus élégant, surtout lorsque l’on souhaite faire l’éloge de sa propre boutique.

Dans les interventions qui m’ont précédé, vous avez pu voir sur les écrans des tableaux chronologiques, qui vous ont montré les changements survenus, et nous ont rappelé qu’il y a deux choses qui excitent l’imagination des hommes politiques – et les économistes ne font pas exception –, à savoir les tableaux chronologiques et les cartes géographiques. Rendons donc grâces au Bon Dieu que nous vivons à une époque où ce sont les tableaux chronologiques que nous devons regarder, et pas les cartes. C’est en tout cas une bonne nouvelle, et nous comptons bien qu’elle le soit encore l’année prochaine.

Puisque ce sont des experts en économie qui ont pris la parole avant moi, vous vous attendez certainement, à juste titre, que je vous parle depuis la position médiane où l’économie et la politique se rencontrent. Il est donc possible que je dise parfois ce que vous avez déjà entendu, mais je voudrais le faire en tout cas dans un autre éclairage, sous un autre angle, en en tirant d’autres conclusions. Considérez donc mon propos comme une conférence classique d’économie politique, qui met en lumière les interactions entre la politique et l’économie.

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Tout d’abord, je suis d’accord avec ceux des intervenants précédents qui ont déclaré – peut-être le gouverneur de la Banque centrale avec le plus d’emphase – qu’une nouvelle ère commence en 2020, et que nous en voyons les signes. Il en était de même au début de la décennie précédente, qui avait commencé de façon tumultueuse avec une crise financière. La décennie actuelle 2020-2030 commence, elle, avec une pandémie, dont je dirai quelques mots à la fin. Nous ne devons pas nous en effrayer outre mesure en Hongrie, parce que nous avons de la chance : il existe en effet en Hongrie deux savoirs scientifiques : la science de la démolition et celle de la reconstruction. Nous autres avons l’habitude – de manière partiale sans doute – de considérer que la politique hongroise suit un cycle selon lequel il y a une phase de problèmes, sous l’effet desquels les électeurs choisissent des gouvernements de droite au lieu des gouvernements de gauche, et ensuite, lorsque les choses se remettent à bien aller, ils rappellent les gouvernements de gauche, qui redémolissent tout, ce qui produit le retour des gouvernements de droite, et ainsi de suite. C’est pourquoi les gouvernements de droite n’ont pas pour habitude de s’effrayer des situations de crise, parce que ce sont les crises qui sont le mieux à même de montrer aux gens pourquoi il est préférable d’avoir un gouvernement dont la boussole est clairement orientée sur les valeurs nationales. Rappelez-vous, c’est ainsi que nous avions commencé en 2010 : il y avait une crise économique, ensuite nous avons eu une brève inondation, puis la catastrophe des boues rouges, puis une nouvelle inondation de grande ampleur, ensuite le Brexit, et maintenant la pandémie. C’est là – très succinctement – la chronologie de nos dix années au gouvernement. Je recommande donc – tout comme nous ne nous sommes pas effrayés des crises passées – de ne pas frémir non plus de ce que je vous dirai à la fin sur le coronavirus, même si ce sera assez brutal.

Je trouve aussi parfaitement justifiée l’approche choisie par le gouverneur de la Banque nationale consistant à dire que ce n’est pas en raison des résultats obtenus entre 2010 et 2020 que nous devons nous féliciter mutuellement – d’ailleurs, l’opinion publique hongroise ne prime guère ce genre d’auto-encensement –, mais pour nous permettre de comprendre ce que nous devons défendre. Si nous ne savons pas ce qui a fait notre réussite, nous serons incapables de dire comment cette réussite pourra se poursuivre sur les dix prochaines années, et si nous sommes incapables de dire ce qui a été la clef du succès, nous serons également incapables d’identifier les facteurs-clé de la politique économique qu’il faut à tout prix préserver. Monsieur le Gouverneur nous y a beaucoup aidés dans son intervention. Nous pouvons donc affirmer tranquillement que les dix dernières années ont été les plus performantes de nos cent dernières. L’on peut bien sûr s’en gausser : dans un ancien pays communiste, où la fausse propagande du succès était la norme, c’était un humour aussi évident que basique. Il est donc facile de dire que ceux qui parlent de succès ne font que suivre cette école. Mais je n’ai pas l’habitude de dire cela dans une perspective à si courte vue – et vous verrez que cela fait sens –, car je veux parler des choses les plus importantes lorsque je rappelle les dix années que nous laissons derrière nous.

Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a, à mes yeux, aucune autre nation, aucun autre pays dans le monde qui aurait été capable, cent ans après avoir perdu les deux tiers de son territoire et 60% de sa population, se retrouvant vingt ans plus tard dans une guerre mondiale, au cours de laquelle est exterminée sa population la plus active et économiquement la plus viable, ayant connu, après cela, la liquidation de sa classe sociale la plus importante en termes d’instinct national : les koulaks et la paysannerie, l’émigration en 1956 de 200 000 de ses habitants parmi les mieux formés et les plus aptes au mouvement, il n’est pas de pays qui puisse dire, cent ans après le début de cette série de catastrophes, qu’il a produit entre la quatre-vingt dixième et la centième année de ce siècle dix années de réussite qui sont sans exemple dans le monde qui nous entoure. Si donc je parle de nos succès, c’est pour attirer l’attention des Hongrois sur le fait que nous ne sommes pas une nation comme les autres, une parmi d’autres, mais un pays bien particulier, capable de grandes choses. Et le fait que nous soyons toujours là, cent ans après, et que nous puissions proclamer, cent ans après, tout ce que nous avons réussi pendant les dix dernières années, ce seul fait doit nous donner de la force, de l’énergie, de l’optimisme, du dynamisme et de la capacité de faire pour l’avenir. Lorsque donc j’évoque nos succès, je veux par-là mobiliser les forces du pays, et non pas les démobiliser en me bornant à reconnaître ces succès. Je pense que les succès passés sont une bonne raison pour en obtenir d’autres. Et c’est pourquoi j’estime qu’il est important de rappeler que nos dix dernières années ont été les meilleures des cent dernières.

Ce que nous avons entendu en matière de perspective historique est également vrai – je ne veux pas revenir là-dessus –, à savoir combien il y a eu de cycles de croissance au cours des cent dernières années, et comment ils se sont insérés dans nos dix, ou plutôt sept dernières années. Je voudrais simplement indiquer que ces dix années ont été les meilleures en matière de durée et de vitesse de notre rattrapage, et qu’il ne faut pas le sous-estimer. Je le répète : non pas pour que nous nous en félicitions mutuellement – bien que cela ne nous fasse pas de mal, la culture hongroise n’a guère de traditions dans ce domaine – ou que nous reconnaissions nos succès, mais parce que c’est cela qui nous donne l’énergie pour l’avenir. Je suis d’accord avec Monsieur le Gouverneur et Monsieur le Ministre des Finances pour dire qu’il ne suffit pas d’exprimer le succès au travers des chiffres de la croissance, parce que la croissance et la réussite ne valent que si elles sont basées sur une infrastructure durable. C’est à mes yeux un point-clé. J’ai observé dans l’histoire de la Hongrie – dans la mesure où je suis capable d’en discerner la dimension économique – que si les équilibres économiques et financiers se rompent, il est possible de croître encore pendant un certain moment, mais l’on se heurtera tôt ou tard à un mur. Nous n’avons donc pas le droit de poursuivre en Hongrie une croissance qui ne soit pas basée sur la stabilité financière, ni une politique économique qui se fixe pour objectif une croissance sans équilibre financier. Je suis d’accord aussi sur les domaines dans lesquels nous avons obtenu des retournements. Je ne les rappelle que pour leur donner tout leur poids et toute leur signification.

En 2012, nous avons ramené notre déficit budgétaire en-dessous des 3%, et nous l’y tenons depuis. Depuis, nous avons ramené la charge de la dette publique de 82% à 66%, et je pense que nous serons rapidement en-dessous des 60%. Nous avons systématiquement réduit la part en devises de la dette publique, nous allons vers les 0%, je pense que le zéro est le meilleur chiffre dans ce domaine et je n’aurai pas de repos tant que nous n’y serons pas arrivés. Nous n’avons pas besoin d’une dette en devises, la dette de l’Etat doit être financée en forints. Une autre question est de savoir entre les mains de qui est la dette de l’Etat. Il ne suffit pas de savoir en quelle monnaie elle est exprimée, en devises ou comment, il faut aussi savoir qui la détient, et le zéro est valable là aussi : non seulement pour la part en devises, mais aussi lorsque nous parlons de créanciers étrangers. Ce qui est bon, c’est que la totalité de la dette hongroise soit entre les mains des Hongrois. Si l’on veut être maître de son destin, il faut être maître de sa dette, et c’est pourquoi notre objectif est que les détenteurs de la dette hongroise soient dans la plus grande proportion possible, et à la fin entièrement, des institutions financières hongroises, des entreprises hongroises et des ménages hongrois. Le gouverneur de la Banque centrale n’a pas dit, parce que – comme je l’ai rappelé – il n’est pas populaire en Hongrie de se référer à sa propre réussite, je le ferai donc à sa place : il ne faut pas hésiter à rappeler qu’en 2019 le service de notre dette était inférieur de 900 milliards de forints [2,7 milliards d’euros] à son chiffre de 2012, ce qui veut dire qu’en l’espace de sept-huit ans, grâce à notre politique monétaire, l’Etat hongrois a économisé 900 milliards de forints d’intérêts. Somme que nous pouvons recycler dans l’économie, dans nos programmes démographiques et ainsi de suite. Nous le devons exclusivement à la politique monétaire. Je voudrais aussi rappeler à tout le monde que nous avons réussi à remettre de l’ordre dans les finances des collectivités locales et à éviter que l’équilibre entre l’offre et la demande se renverse : c’est ce qu’on appelle l’inflation, si je suis bien informé. Mêmes les juristes sont capables de comprendre que l’inflation est le résultat d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. La faible inflation hongroise montre que cela n’a pas été le cas.

J’estime important ce qu’a évoqué le ministre des Finances, mais pour moi il est fondamental, du point de vue de notre dépendance et de notre exposition, que nous ayons regagné l’équilibre de notre commerce extérieur : notre commerce est excédentaire, l’équilibre est revenu. Notre balance des paiements courants a été excédentaire pendant dix ans. Nous avons eu l’année dernière un petit déficit, que j’estime supportable, ce qui signifie que nous avons réussi à cicatriser une des plaies les plus béantes de l’économie hongroise. Depuis que je suis député, c’est-à-dire depuis trente ans, j’ai constaté à l’occasion de chaque budget que si nous voulions encourager la croissance au moyen d’incitations gouvernementales, il fallait toujours envisager que cela se terminera, du fait de la hausse des importations, par une rupture de l’équilibre budgétaire, suivi de celle de la balance commerciale, ou vice-versa. Mais ce qui est fondamental, c’est que sur ces dix dernières années je vois pour la première fois que l’inflation est sous contrôle, que nous avons réussi à remettre le pays sur le chemin de la croissance et que ni la balance commerciale, ni la balance des paiements n’en ont souffert.

L’équilibre du marché du travail est tout aussi important. Il n’est peut-être pas nécessaire d’en parler longuement, il suffit de rappeler que l’affirmation selon laquelle des facteurs d’équilibre sous-tendent la croissance hongroise est vérifiée à tous les niveaux de l’économie du pays.

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Maintenant, si ces équilibres représentent la valeur la plus précieuse, il faut se poser la question de savoir comment nous allons préserver entre 2020 et 2030 les résultats de ces dix dernières années en matière d’équilibre, dans un environnement profondément modifié. Nous en sommes arrivés à une question particulièrement importante de l’interaction entre la politique et l’économie, que je pourrais aussi formuler ainsi : pourquoi avons-nous connu le succès au cours des dix dernières années ? Les réponses ne manquent pas, certaines sont voyantes, je ne ferai que les évoquer.

Le premier facteur important de nos succès des dix dernières années est que nous avons obtenu de nos électeurs un mandat pour le changement. Je ne dis pas que les électeurs nous ont donné ce mandat de bon cœur, mais le gouvernement précédent avait mis l’économie dans un tel état en 2008-2009 qu’il ne restait pas d’autre choix aux électeurs que celui de nous donner un mandat d’une ampleur particulière – au travers de la majorité parlementaire des deux tiers – qui fait que tout ce que nous avons réalisé l’a été sur la base du mandat que nous avons reçu des électeurs. Ce mandat était présent derrière nos réformes les plus profondes et les changements les plus risqués.

Le second facteur explicatif de notre réussite sur les dix dernières années tient dans le fait que nos objectifs étaient clairs.

Le troisième tient au fait qu’en 2010 ce ce n’était pas la première fois que nous étions au gouvernement : nous avions une expérience, nous avions une connaissance et une visibilité de la gouvernance, nous savions ce qu’il fallait changer pour que le système change. Les décideurs de la politique économique étaient animés d’un courage certain, parce que nous avons pris des risques dont nous pensions qu’ils allaient naturellement se heurter à des oppositions considérables, mais que nous saurions les supporter, autrement dit que nous saurions résister aux pressions – je parle maintenant de 2010 – qui seraient exercées sur la Hongrie de la part des marchés financiers et de la politique internationale à la suite de l’annonce des mesures de gestion de crise « non-orthodoxes » hongroises. Il a fallu mesurer et évaluer ce risque, et apprécier si nous allions pouvoir résister à la pression. Et nous avons pensé que nous y arriverions. Et c’est ce qui s’est passé. L’une des étapes marquantes de cette pression – que d’autres ont déjà évoquée ici – a été la question de notre mariage, ou plutôt de notre divorce, avec le FMI. Lorsqu’ils nous ont dit en 2011 que ce que nous faisions était inacceptable, nous avions deux possibilités : la première, que nous acceptions tout ce qu’ils nous demandaient, et si nous l’avions fait aucun des résultats dont nous avons parlé ne se serait produit ; et la seconde, que nous leurs disions : merci beaucoup, vos conseils sont excellents, très utiles, ils sont certainement réalisables ailleurs dans le monde, mais hélas ici il n’y a pas de demande pour eux. Il a fallu que je le dise personnellement à Monsieur Rosenberg, qui a fait ses valises en nous avertissant que cela se terminera très mal, et il est parti. C’est ainsi que le FMI a quitté la Hongrie, ce qui en soi est assez intéressant, mais renvoyer de cette manière le FMI n’est pas grand-chose, montrer la porte à un invité et lui demander de rentrer chez lui ne nécessite pas un vaste savoir. Le vaste savoir a consisté en ce que, deux ans plus tard, nous lui avons fait suivre son argent, c’est-à-dire que nous avons remboursé le prêt du FMI, car si nous avions renvoyé le FMI sans savoir comment nous allions rembourser son prêt, vous savez bien, vous qui vivez dans le monde de la finance, quelles conséquences cela aurait pu avoir. Nous les avons donc d’abord renvoyés chez eux, et deux ans plus tard, en 2013, nous leur avons fait suivre aussi le prêt qu’ils nous avaient accordé, en d’autres termes nous l’avons remboursé. Nous avons donc résisté à la pression.

Un important acquis des dix dernières années a été, selon moi, le regain de la confiance des acteurs économiques, tant intérieurs qu’extérieurs. Car il n’est pas possible de mettre en œuvre des changements de grande ampleur dans une économie sans que les acteurs économiques aient confiance en ce que a) ces changements ont un sens, et b) la direction politique est capable de les mener à bonne fin. Il y avait des réserves sur ce point en 2010, peut-être aussi en 2011, mais elles se sont estompées en deux ans, et au bout du compte les acteurs de la vie économique, c’est-à-dire vous-mêmes, ont réalisé que nous prenons au sérieux ce que nous disons parce que nous faisons ce que nous disons. Et ils ont même pu constater après quelques mois, de manière bien visible et corroborée par des chiffres, que cette politique économique apportera ses résultats si on la laisse se dérouler jusqu’au bout. Et tout doucement, pas d’un coup mais pas à pas, nous avons regagné la confiance des acteurs économiques. Certains nous l’avaient accordée dès avant les élections. Je voudrais évoquer ici la mémoire du regretté Sándor Demján, qui avait déclaré dès 2009 que les acteurs économiques devaient épouser le parti du changement et honorer de leur confiance le nouveau gouvernement qui se préparait à accéder aux affaires. Il est resté fidèle à sa position, et ensuite les autres l’ont rejoint, et je pense que la Chambre a elle aussi été un acteur majeur du regain de la confiance entre la direction politique et les acteurs économiques. Cette confiance a été l’une des conditions de base de nos réalisations des dix dernières années. L’autre condition est liée à notre ministre des Affaires étrangères et des Relations économiques internationales Péter Szijjártó – qui n’est pas présent parmi nous aujourd’hui bien qu’il soit responsable d’une certaine frange de notre politique économique –, qui a été capable dans le monde des investisseurs étrangers, d’abord en qualité de secrétaire d’Etat chargé de mes relations politiques et économiques internationales, puis en tant que ministre, de convaincre systématiquement les investisseurs étrangers de la pertinence de ce que nous faisions, et qu’il valait la peine pour eux de venir chez nous. Vous avez vu les chiffres des investissements en cours : il y en a pour des milliards, des milliards d’euros, qui ont été rendus possibles grâce à une politique hongroise proactive en matière de commerce extérieur et d’investissements. Je pense donc que le regain de la confiance des acteurs économiques a joué un rôle majeur dans notre réussite des dix dernières années.

Il fallait aussi restaurer notre propre confiance en nous-mêmes. Je ne veux pas m’étendre là-dessus maintenant, parce qu’on ne nous reproche aucun manquement dans ce domaine. Mais il ne fait pas doute qu’il ne s’agit pas ici d’une confiance politique, d’une manifestation ostentatoire, mais de quelque chose de beaucoup plus intellectuel, de plus difficile aussi, et qui porte sur le point de savoir si l’on ose croire que face à une crise où des pays bien plus riches et mieux placés que nous cherchent la réponse à ces défis mondiaux, nous avons découvert quelque chose de différent de ce que tous les autres ont trouvé. Et lorsque cela se produit, il m’arrive aussi de penser que ce n’est peut-être pas dans l’ordre du monde que ce soit nous qui découvrions la bonne solution, et pas les autres. Dans ces cas, l’on est plutôt tenté de ranger ses conceptions dans le tiroir, en se disant que c’est peut-être bien sur le papier, mais si ce n’est pas venu à l’esprit des pays plus grands et plus intelligents que le nôtre, il serait peut-être bon de ne pas insister. C’est là un instinct de conservation assez naturel. Mais il y a des moments où l’on doit dire : il se peut que cela ne soit pas venu à leur esprit, et si nous comprenons pourquoi ils ne sont pas parvenus à la même conclusion que nous, eh bien nous pouvons nous lancer dans la mise en œuvre d’un modèle de gestion de crise qu’en-dehors de nous personne n’a tenté, et il se peut aussi qu’à la fin ce soit celui qui a roulé à contre-sens sur l’autoroute qui avait raison, et pas ceux qui roulaient dans le bon sens. Cela arrive aussi. C’est dire que la confiance en soi, dans une situation comme celle-là, est incontestablement bienvenue.

Et en matière de confiance en soi, il est également important de reconnaître que les acteurs de la vie économique n’ont pas laissé seuls les décideurs de l’économie et de la politique. Après que nous nous sommes lancés, je me souviens de nombreuses conversations avec Sándor Csányi sur la taxation des banques, qui fait bien entendu renâcler tout président de banque – c’est compréhensible –, mais il nous a prodigué sans relâche ses conseils en nous expliquant, si déjà nous introduisons cette taxation, comment il convient de recycler cette recette en incitations économiques, en amélioration du niveau de l’emploi et en autres mesures, de manière à ce que le secteur bancaire puisse dire, lui aussi, qu’il a eu certes trois années difficiles, mais qu’il les a supportées, il ne s’est pas laissés dévier, regardons les indicateurs dans trois ans et nous verrons bien. Et de fait, si je vois bien, les indicateurs du système bancaire montrent que cette histoire s’est déroulée exactement comme cela. Il est donc possible qu’il ait été difficile de s’engager à participer à l’effort commun aux débuts de la gestion de la crise économique, et pour le secteur bancaire de prendre sa part des charges, mais si nous regardons les indicateurs d’aujourd’hui et la situation du secteur bancaire – à laquelle n’est évidemment pas étrangère la précédente expérience ministérielle du gouverneur de la Banque centrale –, nous voyons qu’après une gestion de crise extrêmement difficile, éprouvante pour ce secteur, il est aujourd’hui un des secteurs à succès de l’économie hongroise. Au point que sa réussite ne se manifeste pas seulement en Hongrie, mais aussi dans toute la région.

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Voilà pour les raisons les plus voyantes du succès de notre gestion de crise, car tout cela, c’est de l’économie. Mais où est la politique qui, sur la base de tous les ingrédients dont je vous ai parlé, confectionne le « mix » – pour reprendre votre terme – de politique économique qui va guérir le malade et redonner de la force à sa structure affaiblie ? C’est le grand mystère de la politique. L’on ne cesse de poser cette question et de se demander ce qui fait que quelque chose marche. En d’autres termes, qu’est-ce qui fait qu’une conception de politique économique peut se transformer en succès dans un pays donné, et en échec dans un autre ? Dit autrement : dans un pays donné, quelle est la politique économique qui peut réussir, et quelle est celle qui va échouer ? L’on recherche donc, surtout après un certain âge, à ramener à un facteur unique, ou à un indice unique, toute la connaissance formée par une masse complexe d’informations dans sa tête. C’est un vieux rêve de tout entraîneur de football de savoir s’il existe pour un joueur un algorithme unique dans lequel on puisse rassembler la connaissance de tous les éléments du jeu, et si oui, si ce paramètre existe, il serait subitement facile de réunir la meilleure sélection du monde, y compris en Hongrie. Tout le monde cherche ce facteur unique. Il en va de même en politique. Nous aussi, nous recherchons celui qui répond à la question de savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas. C’est naturellement l’Histoire qui va dire si nous l’avons trouvé ou pas, mais je crois qu’une des causes majeures, peut-être la plus déterminante, de notre réussite de ces dix dernières années a été que nous avons eu une idée de ce que pouvait être ce facteur, ce coefficient unique, cette explication ultime, cette racine originelle qui fait que quelque chose marche : cette idée, c’est qu’en politique c’est tout simplement la manière de savoir comprendre son propre peuple, c’est-à-dire la communauté à la tête de laquelle on se trouve, qui est la clef de tout. Comment comprend-on son peuple ? Que pense-t-on de lui ? Que veut-il ? Qu’est-ce qui le motive, et qu’est-ce qui le rebute ? C’est cela qu’il faut trouver d’une manière ou d’une autre. Bien sûr, les libéraux s’en moquent, car pour eux cette « caractérologie d’une nation » n’existe pas, ils se gaussent de ces idées ridicules, mais je suis persuadé que la bonne gouvernance réside précisément dans ce qu’ils nient, et que c’est dans la compréhension de cette caractérologie et dans sa mise en harmonie dans les politiques sectorielles que réside la clef du succès.

Qu’avons-nous vu, et qu’avons-nous fait ? Parce que si nous arrivons à mettre en œuvre une politique économique qui fasse se rencontrer les caractéristiques d’anthropologie culturelle des individus avec celles d’une nation, cela va marcher, les gens vont y participer. Si en revanche l’on ne mène pas une politique économique dans laquelle les gens se sentent à l’aise et considèrent correcte et juste, ils vont s’y opposer. Et une politique économique qui se heurte à l’opposition du plus important de ses protagonistes, à savoir la population elle-même, aussi jolie soit-elle sur le papier et dans les livres d’étude libéraux, ne va jamais marcher. Et c’est ainsi que nous arrivons à la question qui est pour moi la plus importante de la période postérieure à 2010, à savoir qu’est-ce qui fait, quelle politique économique, quelle politique sociale fait que les Hongrois se sentent bien dans leur peau. Car contrairement à ce que professent les libéraux, tous les peuples ne se sentent pas bien dans la même peau. Il y a évidemment des similitudes : disons que tout le monde a besoin de la liberté, mais elle n’est qu’un petit élément de l’existence, la vie en comprend bien d’autres : la famille, le lien entre la communauté et l’individu, et d’autres encore. Nous croyons, et je crois moi-même aujourd’hui que puisque chaque peuple a besoin d’une peau différente pour bien se sentir, la Hongrie devra, dans les dix prochaines années et dans un environnement en mutation, trouver et activer la formule qui incitera les gens à un surcroît de résultat. D’une manière générale, je pense que l’on peut dire des Hongrois qu’ils aspirent à une vie fière. C’est la clef de tout. Les Hongrois veulent être fiers. Je ne sais pas quand ces codes nous ont été insérés, mais pour moi c’est la clef de tout. Nous voulons être personnellement fiers de ce que nous faisons, nous ne voulons pas seulement nous comporter correctement – c’est évidemment le minimum –, mais nous voulons être fiers de ce que nous faisons, séparément, individuellement et collectivement aussi. Nous voulons être fiers de nos réalisations, de celles de notre famille et de celles de notre patrie. C’est cette cible que nous devons atteindre. Ce ne serait encore pas trop difficile, mais le Hongrois est une espèce particulière, et il ne veut pas être fier n’importe comment. Parce qu’il n’aime pas les grandes injonctions : quand on lui dit « soir fier ! », ne serait-ce que pour cela il ne le sera pas, ça ne marche pas. Et il y a une autre chose qu’il n’aime pas : l’ostentation. Il veut être fier sans le montrer, parce que le Hongrois est instinctivement de nature pudique. Il a donc fallu trouver une combinaison de la fierté et de la pudeur, et ce sont ces instincts profonds du peuple qu’il a fallu aller chercher avec la politique économique. Je crois que nous y avons réussi. Je peux affirmer tranquillement que la Hongrie a mené entre 2010 et 2020 une politique économique basée sur l’identification et la combinaison de deux éléments fondamentaux du caractère hongrois, à savoir d’une part que le Hongrois veut à la fois réussir et être fier, et d’autre part qu’il veut rester pudique. Que l’on reconnaisse sa performance sans qu’il ait besoin de l’exprimer lui-même. Il attend du premier ministre qu’il l’exprime, et c’est pour cette raison que c’est moi qui parle des succès des dix dernières années, parce que les Hongrois eux-mêmes n’en parleront jamais, nous les connaissons trop bien. Beaucoup le considèrent – comment dirai-je – comme une manière de ne pas honorer la réussite. Je ne le ferai pas, parce que je sais parfaitement que les Hongrois honorent cette réussite, mais ils ne pensent pas que ce soit à eux d’en parler et ils attendent que le monde extérieur le leur signale. Ils l’attendent de leur voisin, de leur collaborateur, et de leurs dirigeants. C’est cette combinaison qui, à mon avis, donne sa base disons « d’anthropologie culturelle » à notre politique économique, et qui n’est autre que la connaissance de son peuple. On l’a, ou on ne l’a pas. Ce que je voulais vous dire en un mot comme en cent : le grand secret, c’est cela. Que les gens ont assumé la mise en œuvre de cette politique économique, parce que – contrairement à certains autres pays, qui disent : « petits efforts, vie modeste » (il y a des pays qui reposent sur cette philosophie) – ils ont dit, eux : « grands efforts, vie de fierté ». C’est la direction que nous avons prise. Je ne dis pas que tout le monde y est déjà, ni que ce soit valable pour tout le monde, ni que le pays fonctionne déjà selon ce principe jusque dans ses moindres recoins, mais que c’est la direction que nous avons prise : grandes réalisations, vie de fierté, j’en suis certain, et l’enjeu des prochaines élections – mais ce n’est pas pour cela que nous sommes réunis aujourd’hui – sera de savoir si nous continuons ou pas sur cette voie.

C’est pour cela que le communisme a été une calamité. Ce n’est pas non plus l’objet de notre réunion – il en faudrait une autre –, mais le communisme n’a pas seulement été une calamité parce qu’il a conduit le pays à la ruine économique, mais aussi parce qu’il a voulu faire fonctionner un autre système de motivation. Car l’on ne pouvait être fier ni comme nation – c’était du « nationalisme » –, et l’on ne pouvait pas non plus sortir du rang comme individu, sous peine de se voir écrêté. C’était donc une calamité. Bien sûr, les nazis ont aussi été une calamité pour nous, parce que là le problème était qu’ils ont discrédité la fierté en l’associant à la race. La fierté n’a rien à voir avec la race, tout comme l’identité nationale n’est pas non plus une question de race. Sans aucun doute, cette ligne politique a mis la fierté nationale en avant, mais elle l’a développée sur une base que l’on ne peut pas accepter, et a finalement discrédité le sentiment lui-même de fierté nationale. C’est donc une grande question pour les Hongrois : lequel faut-il détester le plus du communisme ou du nazisme. Le mieux, pour moi, est de les détester uniformément tous les deux – il ne peut rien en résulter de mal – et nous positionner sur le terrain d’une fierté nationale « modérée », de laquelle peut pousser l’arbre du succès.

Le Plan national d’éducation et le débat qui l’entoure relève du même sujet. Il ne s’agit pas de techniques d’éducation – bien sûr, cet aspect y est certainement présent – mais de la question de savoir comment nous allons élever nos enfants. Voulons-nous les éduquer dans la direction de la fierté, de la performance, avec la mise en valeur de la fierté personnelle, familiale et nationale, ou bien voulons-nous leur enseigner les guerres perdues, ce qui est certainement une connaissance importante mais qui ne peut constituer le cœur des matières d’enseignement. Parce que le cœur de l’enseignement – et je voudrais avec ces mots terminer ce chapitre de mon propos – est que, cent ans après avoir perdu les deux tiers de notre territoire et 60% de notre population, nous voici ici en train de parler de la manière de préserver nos succès sur les dix prochaines années. C’est cela que nous devons fondamentalement enseigner, sans occulter nos échecs bien entendu.

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Je reviens à l’essence de mon propos. Que résulte-t-il de tout cela ? Je pense qu’il en résulte que tout ce que nous pouvons identifier comme réussite au cours des dix dernières années doit être préservé sur les dix prochaines. Je crois que c’est ce qu’a dit le gouverneur de la Banque centrale. Il a dit qu’il faut préserver les équilibres obtenus, et faire tourner les moteurs de la croissance et du rattrapage. Cela pose toujours un problème en politique, celui de savoir comment évaluer la performance. Je propose que puisqu’un ralentissement est attendu dans l’économie mondiale tout entière, nous n’évaluions pas notre performance en termes de taux de croissance en valeur absolue, autrement dit si nous avons réussi à maintenir la vitesse, mais en termes de différentiel de vitesse par rapport aux autres. Ce n’est donc pas le taux de croissance de l’économie hongroise qui sera la valeur essentielle, mais la vitesse de notre rattrapage par rapport aux autres, le point de savoir si nous pourrons maintenir cet avantage. Nous avons ici deux possibilités. Le ministre des Finances est plus prudent, il parle d’un différentiel de croissance de 2 points. J’ai moi aussi les pieds sur terre, et je pense que ce serait déjà un beau résultat, mais le gouverneur de la Banque centrale, dont la mission est de nous motiver, parle de 3 points. J’ai appris de lui, à l’époque où il était encore ministre en 2000-2001, que ceux qui ne se fixent pas d’objectifs dans le domaine de l’impossible ne les atteindront pas non plus dans celui du possible. C’est de cela qu’il s’agit : l’objectif de 3% n’est pas une mauvaise idée, mais restons-en aux 2%, ce ne sera déjà pas mal si nous y arrivons.

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Que cela signifie-t-il aujourd’hui ? Cela signifie aujourd’hui – et j’en arrive à la partie moins joyeuse de mon propos – que nous devons nous préparer à un changement brutal. J’ai vu les tableaux que nous a présentés le ministre des Finances, que j’avais déjà reçus ces derniers jours des dirigeants des grandes entreprises, en gros selon le même schéma : « Les conséquences possibles du coronavirus, selon les scénarios a), b) et c) ». Je pense que les scénarios a) et b) peuvent tranquillement passer à la poubelle, il n’y a que la variante c). Nous devons donc nous préparer à une pandémie. Nous devons comprendre ce qu’est une pandémie, et quelles en seront les conséquences pour nous. Bien qu’on ne m’ait pas fait venir ici pour dispenser des conseils, je voudrais demander à tout le monde de se préparer à sortir de sa zone de confort. Les dix dernières années étaient bonnes, nous avons bien marché, la situation n’est globalement pas mauvaise, mais si nous ne faisons que reproduire sur les dix prochaines années la quantité et la manière des dix dernières, vous courez à la ruine. L’économie nationale se trouvera en difficulté, mais vous aussi individuellement et, croyez-le, vous courrez à la ruine. Le coronavirus est maintenant à coup sûr la meilleure incitation pour que vous fassiez beaucoup de choses autrement au cours des dix prochaines années. Dès maintenant, à court terme, nous devons quitter notre zone de confort. Je prévois une pandémie. J’ai réuni hier nos experts, ceux qui répondent de la science, le président de l’Académie, Monsieur le Ministre de l’Innovation et de la Technologie Palkovics, le recteur de l’Université de Médecine et quelques autres, et il nous a fallu nous rendre à l’évidence : il n’y aura pas de vaccin. Plus précisément, si on découvrait demain matin ou aujourd’hui le vaccin, son introduction dans le freinage de la maladie prendra au moins un an. Un an ! Il faut donc se préparer à ce que l’incertitude psychologique liée à l’absence de vaccin ne va pas se dissiper, parce qu’elle est la cause du phénomène. Ceux qui disent qu’il y a davantage de gens qui meurent chaque année de la grippe que ceux qui mourront vraisemblablement du coronavirus ont raison, mais pour la grippe il y a des vaccins, et les gens vivent dans la sécurité de savoir qu’en cas de grave problème la science est capable de leur offrir quelque chose pour les aider. Le problème actuel, qui exerce ses effets en premier lieu sur votre économie et sur vos entreprises, est que nous sommes en situation de dépendance, nous sommes sans défense. Il n’y a pas de vaccin, et nous ne savons pas vers qui nous tourner en cas de difficulté. Il y a bien sûr quelques médicaments qui, comme l’ont dit encore hier les experts, peuvent apporter une aide dans les cas graves, mais aucun vaccin spécifique n’a été développé contre ce type de virus. Le sentiment d’insécurité lié à la conscience du fait que je ne peux pas me défendre en cas de problème – et il y a bien un problème – restera avec nous dans les mois qui viennent. Et c’est cela qui, à mon avis, influence en premier lieu l’activité économique, et pas le nombre de personnes qui vont aller travailler ou pas. Bien sûr, ce dernier aspect a aussi son importance, et aussi le fait que le grippage la supply chain – surtout à notre époque de just in time – risque de provoquer toutes sortes de désordres dans les unités de production, c’est évident, mais il n’en reste pas moins que le sentiment de nous sentir tous sans défense est bien plus grave. Nous savons aujourd’hui que le virus n’attaque que certaines catégories de population, mais nous ne savons pas ce qu’il en sera demain et après-demain. Et les gens s’inquiètent, en premier lieu bien sûr pour leurs enfants. Ils se réjouissent qu’ils n’aient pas été atteints par le coronavirus, mais nous ne savons pas si ce ne sera pas le cas demain. Ce sentiment d’incertitude, qui produit une attitude fondamentalement défensive, fait que l’on redouble de prudence, que l’on ne bouge pas, va subsister encore un moment. L’ambiance combative, l’environnement imaginatif qui sont nécessaires à la prospérité économique me semblent aujourd’hui terriblement éloignés de la réalité. Et cela va rester. Si nous considérons la Chine, où l’infection, partie de chez elle, semble en voie d’être contenue – si l’on en croit ceux qui l’affirment –, cela a pris bien cinq à six mois depuis la première apparition du virus. Ils ne sont pas arrivés au bout, la courbe s’est simplement infléchie. Ces cinq à six mois signifient pour nous juin, lorsque la courbe commence à s’infléchir après le pic. Juin ! La saison touristique de cette année peut être raccrochée. Nous devons compter que tout cela est terminé. Tous ceux qui de quelque manière que ce soit, par la logistique, le tourisme ou autre chose, sont plus étroitement liés à l’envie de voyager, à l’envie de bouger des gens devront compter avec un vif recul de leur activité. Il vaut mieux s’y préparer, et corriger les chiffres. Hier soir tard, avant de venir ici, je me suis encore concerté avec le gouverneur de la Banque centrale et le ministre des Finances, après la réunion avec les experts, pour tirer les conséquences sur l’économie de tout ce que je suis en train de vous dire. Nous ne sommes pas arrivés à grand-chose, bien que nous ayons été plusieurs. Ce n’est pas à nous que je le reproche, mais à la situation.

La situation est la suivante : nous pensons que vous allez vous trouver vers le milieu ou la fin du mois d’avril dans la situation de pouvoir dire au gouvernement quelles sont les pertes que votre exploitation aura subies. Un rôle majeur y sera dévolu à la Chambre. Aujourd’hui, vous voyez bien que nous ne faisons que des conjectures, nous cherchons à définir les contours du problème, nous évoquons des chiffres macro-économiques, mais je ne sais pas quoi en faire si vous espérez des aides de politique économique – nous y sommes prêts, parce que le rôle du gouvernement consiste à aider les acteurs économiques à traverser les périodes de turbulence – car vous devez être en capacité de nous dire précisément quelle branche doit être soutenue dans cette période difficile, et précisément avec quels moyens. C’est vous qui devez le dire. Ni le ministre de l’Economie, ni le ministre des Finances ne pourra le deviner à votre place. Il nous faut des retours très concrets. Cette capacité est chez vous, elle est à la Chambre. J’attends donc de vous – nous sommes encore à la mi-mars, je pense que vous-mêmes ne voyez pas encore très clairement les conséquences, mais je pense que vous les verrez à la mi-avril – qu’à la fin du mois d’avril le gouvernement reçoive de la Chambre un document qui indique quels problèmes sont survenus dans quelles branches, et quelles mesures la Chambre souhaite pour y porter remède. Bien entendu, je vais vous aider, le gouvernement va vous aider, le gouverneur de la Banque centrale, le ministre des Finances vont vous aider. Je voudrais simplement signaler que le phénomène auquel nous faisons face n’appelle pas de mesures macro-économiques, mais des programmes de branche ciblés. C’est-à-dire que les décideurs doivent savoir, par exemple, en quoi consiste exactement le problème dans la branche du tourisme, quelle est sa dimension, par quelles mesures on peut y porter remède, si au moins on le peut. Il en va de même pour les infrastructures, l’énergie, et ainsi de suite. Il faut voir tout cela. Et je pense que nous allons en mettre en place les conditions financières. J’ouvre ici une parenthèse : il est clair que nous devrons revoir nos budgets : celui de 2020, qui est déjà en cours, dans sa totalité, et celui de 2021, que nous devrons entièrement repenser. C’est une évidence, parce que nous devrons ouvrir des fonds d’aide et de correction pour plusieurs milliards d’euros pour soutenir la croissance. Ce sera loin d’être facile. Cela supposera une contribution d’une sorte ou d’une autre de la part de tout le monde. Nous en discuterons et nous verrons laquelle et comment. Les collectivités locales n’y échapperont pas, les branches non plus, personne n’y échappera, parce que nous devrons éviter que la chute de la croissance atteigne les niveaux de 2008-2009 et faire en sorte qu’elle se limite, au maximum, à ce qui nous permette de maintenir notre différentiel de croissance par rapport à l’Union européenne. Ce n’est pas par hasard que j’y reviens, parce que nous n’abandonnons pas cet objectif. C’est-à-dire que la croissance de l’économie hongroise devra être d’au moins 2 points – et si possible, comme le disait le gouverneur de la Banque centrale, de 3 points – supérieure à celle de l’Union. Et pour y parvenir, nous aurons besoin de prendre des mesures de gestion de crise temporaires ciblées et déclinées par branche. Nous en dégagerons les moyens financiers. Ce ne sera pas facile, mais nous les dégagerons. Et pour que leur utilisation soit intelligente, pour que nous ne fassions pas qu’arroser l’économie, et pour que l’argent aille dans la branche qui en a besoin et avec les modalités appropriées, il est nécessaire que la Chambre, en sa qualité de protagoniste de la politique économique, prenne ses responsabilités dans la période qui s’ouvre et nous comptons bien, Monsieur le Président, cher László, que tu nous livres le savoir qui sera nécessaire aux décisions du gouvernement.

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Et comme si tout cela ne suffisait pas, nous voilà avec le Brexit sur le dos, qui détourne un peu notre attention de la gestion de crise à court terme, mais je voudrais quand même en dire quelques mots. Les conséquences du Brexit ne sont pas économiques, mais de politique industrielle. Tandis que nous sommes assis tranquillement ici, et que vous nous écoutez avec patience – ce dont nous vous remercions –, l’Union européenne a rendu publique à midi sa nouvelle conception de politique industrielle. On n’y trouve pas beaucoup de reconnaissance. L’on y voit que les Britanniques ont déjà quitté l’Union européenne. L’on y trouve des expressions telles que « imposition équitable » et quelques autres. Tout ce qui touche – négativement – notre avantage concurrentiel y figure, ou tout au moins figurait dans l’avant-dernière version, je ne lirai moi-même le nouveau document que cet après-midi. Je veux signaler que la sortie des Britanniques de l’Union européenne, une nation du monde anglo-saxon orientée vers le marché, aux idées saines, capable de réfléchir sur l’économie d’une manière peut-être à nulle autre pareille nous a fait perdre un partenaire dont l’importance était capitale au sein de l’Union par son engagement pour la compétitivité, la croissance et le développement. Nous avons perdu un élément d’équilibre face aux approches de type socialiste de ces sujets. Je crains que nous nous en rendrons compte dans la politique industrielle. Le Brexit se fera donc sentir non pas directement par ses effets sur l’économie, mais indirectement par l’affaiblissement du camp de ceux qui privilégient la compétitivité face aux partisans des politiques économiques d’inspiration socialiste qui accordent la priorité aux redistributions par l’Etat. Le point d’équilibre s’est déplacé, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour nous. Il faudra complètement repenser tout cela. De plus, avec la sortie des Britanniques anglo-saxons de l’Union, un ordre géopolitique mondial précédent s’est trouvé restauré, où l’on ne raisonne pas en termes de continents, comme encore avant-hier où il y avait la Chine, les Etats-Unis et l’Union européenne, mais il y a maintenant les Anglo-saxons, il y a le continent avec l’Etat dominant, et il y a les Asiatiques. C’est une configuration absolument nouvelle, qui met les responsables politiques devant un sérieux défi intellectuel. Ce n’est pas le thème de notre séance d’aujourd’hui, mais je voudrais seulement signaler qu’alors que nous avons le coronavirus, alors que la politique change à l’intérieur de l’Union européenne, nous devons dans le même temps juger ce que nous allons faire également à l’aune des transformations en cours dans l’ordre mondial. Ce que vous pouvez faire dans l’immédiat de votre propre point de vue et de celui du pays, c’est de mesurer le plus rapidement possible les effets de la situation actuelle sur vos entreprises et sur vos branches, en essayant d’en estimer et d’en évaluer les conséquences, et de les transmettre au gouvernement par l’intermédiaire de la Chambre, afin qu’ils puissent être intégrés dans les programmes de gestion de crise du gouvernement.

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Il est clair que nous devrons annoncer un plan d’action pour la protection de notre économie. Je pense que nous en serons capables. J’ai déjà dit que nous ne devons pas nous effrayer des situations complexes. Peut-être certaines de mes déclarations sur notre pain noir ont pu paraître dramatiques. Pour remonter un peu notre confiance en soi, ma génération – du moins celle qui aimait la boxe – a grandi selon deux écoles. Le championnat national des poids-lourds était l’événement-clé que nous attendions toute l’année, avec ses deux grands héros. L’un s’appelait Somodi, si je me souviens bien, du Honvéd, un fort gaillard de deux mètres, qui envoyait des directs mémorables, et l’autre, Edőcs, un boxeur plus petit, donnant l’impression de surpoids, mais remarquablement intelligent et qui se sortait des situations difficiles avec beaucoup d’habileté. J’ai toujours été un supporter d’Edőcs. Que cela nous serve d’encouragement pour la période à venir. Le gouvernement trouvera la manière de se sortir de cette situation difficile. Je voudrais seulement vous demander, en tant qu’arbitres du tournoi, de nous y aider.

Merci pour votre attention.